Motards : Qui sont-ils ?



 


 

 

 Voici une courte présentation du mémoire de sociologie de Frédéric, membre d’Autonomie, intitulé

« L’Existence sociale des motards ». Les affirmations qui suivent y sont développées et approfondies ; les citations en sont extraites aussi.
L'intégralité de ce mémoire est consultable librement à l’adresse suivante  :                                                       

                                                     http://www.chez.com/oma


Le motard y apparaît entre autres comme un être paradoxal, mû par le désir d’échapper à la société malgré les contradictions qui l’y rattachent.

Jean-Baptiste

 



L’homme est avant tout un être social : il agit toujours par rapport aux autres. Dans cette optique, il est vital pour chaque individu de gagner le respect des autres, leur reconnaissance. Or, dans les sociétés modernes, sociétés de masse, les individus se ressemblent de plus en plus et aspirent tous à la réussite sociale. Tout le monde est formé à la même école ; les médias comme la télévision sont les mêmes pour tous. En même temps, chaque individu tient à prouver qu’il est différent des autres. Et si exister, c’est être perçu, alors se distinguer des autres est la meilleure façon d’être aperçu. C’est pour cela que chacun adopte des formes et des couleurs différentes pour ses vêtements, sa voiture, etc. Pour le motard, le fait de rouler à moto est une façon radicale de se distinguer de la masse, qui ne touche pas seulement les formes et les couleurs : l’usage de la moto permet d’échapper à la routine plus générale du métro-boulot-télé-dodo.

Les motards purs et durs ont souvent une origine sociale populaire, et donc une activité professionnelle plutôt routinière : « Dans mon boulot, je suis au rendement ; il faut tenir la cadence. Je crève à petit feu. Mais le soir, la bécane, c’est elle qui me regonfle ». Dès l’école, ces motards affichaient un refus de la soumission et de la docilité exigées par le système scolaire. La discipline, le fait de devoir se tenir et parler « correctement » les rebutait car l’école ne les valorisait pas. La moto leur permet de compenser ce manque. Le motard constitue son identité par opposition aux automobilistes des grands centres urbains, qu’il juge disciplinés, moutonniers. Ils sont, dans une certaine mesure, disposés par leur histoire personnelle à enfreindre les lois, à défier l’autorité.

Le motard s’identifie aux chevaliers d’antan  : il se distingue à la fois des masses laborieuses, esclaves de leur travail, et des bourgeois, prisonniers de leur confort et de la peur du risque. La pratique de la moto est populaire et aristocratique à la fois. Pratiquée en groupe, elle permet de se sentir à part, supérieur, d’être à l’abri du jugement des parents, des professeurs, des patrons, de la norme bourgeoise et des conventions sociales. Ce qui compte pour un authentique motard, c’est surtout le jugement des pairs, des autres motards. C’est pour cela que l’on peut parler d’un « milieu » motard.

La moto permet également aux hommes de se distinguer des femmes et d’affirmer une certaine forme de virilité. Théoriquement accessible aux femmes, la moto est, en fait, quasi-réservée aux hommes, à l’exception des passagères, et des compagnes de motards. On ne croise pas souvent des motardes avec un passager à l’arrière ! Des femmes qui arrivent tout à la fois à poser les pieds par terre, à manœuvrer la moto sans le moteur, qui ne craignent ni de se salir, ni de se décoiffer, ni de s’abîmer lors d’une chute, vous en connaissez beaucoup ? Vous l’épouseriez ? Une femme motarde s’expose à devenir trop « masculine » pour plaire aux hommes. Les motards masculins en revanche, pour la plupart célibataires, peuvent escompter gagner en virilité sur leur moto, et cela est susceptible d’impressionner les femmes, qui peuvent imaginer des épaules carrées sous les blousons de cuir.

L’esprit de compétition, par ailleurs, est une composante essentielle de la psychologie du motard. La plupart d’entre eux, si on leur offrait la possibilité de pratiquer gratuitement la compétition, se laisserait tenter. Cet esprit déborde largement le cadre des circuits. Les bourres, les figures, toutes les prises de risque spectaculaires que l’on effectue devant les autres sont autant de manifestations de cet esprit qui anime motards et moteurs, et qui constitue une des valeurs premières du milieu. Grâce à cet esprit de compétition, de dépassement de soi et des autres, il y a toujours des enjeux, des défis, et un sens du jeu qui est là pour renforcer l’entente et la solidarité au sein des motards. La compétition permet de vivre des échanges humains particulièrement intenses. Toutefois, les motards sont également poussés par la quête du prestige, qui les entraîne à vouloir attirer l’estime et l’envie de leurs semblables grâce à la consommation de motos chères et prisées. Les machines sportives, dont le potentiel de performances est très rarement exploité, sont pourtant largement demandées. Il s’agit donc aussi, pour le motard, de « prouver sa valeur » au travers de la valeur de sa moto.

Autour de la moto, la fraternité va de soi. Nombreux sont les clubs, ou plus simplement les bandes, qui cultivent ce sens de l’amitié. La moto a le pouvoir de rassembler ses adeptes, de faire partager spontanément les joies et les peines, de susciter des rencontres. « Là, avec les motards, je peux me confier, mes idées et mes soucis. Ailleurs je n’ai pas droit à la parole : mon patron m’engueule, et mes parents rigolent ou me donnent tort… » Le sentiment d’appartenir à une communauté est entretenu par le rituel du salut motard, signe de tête, appel de phare, V de la victoire...

Les motards sont les derniers inconnus qui se saluent. Cette solidarité exceptionnelle vient notamment du fait que les motards savent tous plus ou moins qu’ils encourent des risques plus grands que la majorité des usagers de la route. Rapporté aux kilomètres parcourus, le risque d’être tué à moto est 11 fois supérieur à celui de la voiture. Pour ce qui concerne uniquement les conducteurs de sportives, le risque est encore 2,6 fois plus grand, soit un risque relatif de 28,6. Ces chiffres permettent de comprendre que la moto est vraiment une pratique à part, où le rapport au risque, à la mort, est essentiel. En cela, elle est en décalage complet avec les tendances actuelles des politiques publiques : le volontarisme bêlant du moins de violence, moins de tabac, moins d'alcool, moins de vitesse... Tout est fait, notamment par l’Etat, pour vous empêcher de mourir, comme s’il était interdit de mourir et surtout de mettre sa vie en jeu... Il faut se demander si toujours plus de sécurité ne rime pas avec toujours moins de liberté, et dans ce débat, les motards peuvent apporter leur grain de sel à condition d’une prise de conscience de leur force subversive. Les discours de prévention se disqualifient souvent eux-mêmes, trop éloignés de la signification des comportements qu’ils prétendent combattre. Le fait d’être prêt à mettre sa vie en jeu donne un pouvoir, une intensité rare à l’existence. Dans le cas du motard, il y a une sombre beauté dans ce risque assumé. C’est ce qui fait de lui un être fascinant.



Frédéric